Fonds souverains : les États africains peuvent mieux faire !
Mis en place pour contrer la volatilité des prix des matières premières et diversifier les sources de revenus, les fonds souverains africains ne sont pas (encore) à la hauteur de leurs ambitions.
La récente faiblesse des cours du pétrole (-11 % sur le trimestre) a rappelé une douloureuse évidence aux États africains producteurs d’or noir : faire dépendre une majorité de ses rentrées budgétaires (jusqu’à plus de 80 % en Algérie) d’une source de revenus aussi erratique est la porte ouverte aux déconvenues. Dégradation des comptes publics, coupes dans les budgets sociaux, récession économique, grogne sociale… Tous les dirigeants des pays concernés ont encore en mémoire l’épisode du contre-choc pétrolier de 2014-2016, subi de plein fouet par leurs économies, trop fortement dépendantes de la production d’hydrocarbures. Les cours ont depuis remonté, mais nul ne sait quand le prochain krach surviendra. « La seule chose dont on soit sûr, en ce qui concerne l’avenir, c’est qu’il n’est jamais conforme à nos prévisions », rappelait déjà, spirituel, le romancier français Jean Dutourd au siècle dernier.
Dès los, à défaut de supputer vainement sur ce dont l’avenir sera fait, on tâchera plus modestement d’établir un bilan du principal outil utilisé par les pays africains fournisseurs de matières premières pour faire face à la nature fluctuante de leurs rentrées financières : les fonds souverains. Lancés à partir des années 1990, les fonds souverains africains ont été constitués grâce aux recettes étatiques tirées de l’exploitation des ressources naturelles. Ils répondent, comme ailleurs, à trois grands besoins : un besoin de stabilité (fonds de stabilisation) pour lisser dans le temps les fluctuations des prix des matières premières ; un besoin de développement (fonds de développement) pour financer notamment les programmes sociaux et les infrastructures ; et enfin un besoin d’investissement (fonds d’épargne) pour acquérir des actifs à rendement (actions, obligations, immobilier) capables de générer un revenu financier « hors matières premières ». En somme, une démarche de bon sens et de prévoyance, qu’ont adoptée un nombre croissant de pays du continent : Algérie, Libye, Nigeria, Gabon, Botswana, Guinée équatoriale, Mauritanie, Ghana, São Tomé e Príncipe…
Les cinq premiers fonds souverains d’Afrique (en milliards de dollars, 2019) Source : Sovereign Wealth Fund Institute (SWFI)
- Algérie : 72,6
- Libye : 60
- Botswana : 5,5
- Angola : 2,3
- Nigeria : 1,7
Mais au-delà des bonnes intentions et des effets de manche, la formule a-t-elle tenu ses promesses ? Pas vraiment. Lancé en 2011, le chétif fonds souverain nigérian (1,7 milliard de dollars d’actifs) n’a ainsi été que d’un faible secours pour éponger l’abyssal déficit budgétaire − plus de 11 milliards de dollars − de la première puissance économique du continent lors du choc pétrolier de 2016. Résultat, pour combler le trou, les autorités d’Abuja ont dû se résoudre à dévaluer massivement leur devise, le naira (-30 % par rapport au dollar en juin 2016), et faire appel au marché de la dette. En Angola, les 2,3 milliards de dollars du Fundo Soberano n’ont pu empêcher non plus le pays, pris à la gorge, de demander au cours de la même période l’aide du FMI. Idem au Ghana ou au Gabon, où l’idée d’un fonds d’État est arrivée trop tard (2011), et avec trop peu de moyens (450 millions de dollars) pour réellement faire la différence.
Tous les fonds ne sont pourtant pas logés à la même enseigne. Premier fonds souverain africain par la taille (plus de 70 milliards de dollars), le Fonds de régulation des recettes de l’Algérie (FRR) a ainsi pu faire face à une réduction de plus de 130 milliards de dollars des réserves de change algériennes depuis 2014, au prix néanmoins de sévères coupes budgétaires. Le problème algérien est ailleurs : à l’image du mandat conféré à la plupart des autres fonds souverains du continent, le FRR est d’abord conçu comme un fonds de stabilisation, destiné en premier lieu à absorber les chocs des prix des matières premières. Résultat, ces fonds servent davantage à corriger les erreurs du passé et compenser les fins de mois difficiles du présent qu’à préparer l’avenir (fonds de développement et fonds d’épargne).
Dommage, car c’est cette logique-là qui paie le plus sur le long terme. Plus important fonds souverain du monde par la taille des actifs (1 073 milliards de dollars), le fonds public norvégien en est la meilleure illustration : abondé pour la première fois en 1996, il a dégagé depuis un rendement annuel net d’inflation de 3,9 %, et généré 505 milliards de dollars de gains cumulés. De quoi permettre aujourd’hui à ce pays scandinave de 5,3 millions d’habitants de jouir d’une rente supérieure à ses revenus pétroliers (84 milliards de dollars de plus-value financière pour le seul premier trimestre 2019, contre 29 milliards de dollars issus des hydrocarbures pour l’ensemble de l’année 2018). À quand un équivalent africain ?